Les ventes de cigarettes et de produits du tabac ne cessent de reculer. Dès l'an prochain, le gouvernement introduira une législation plus stricte, qui interdira notamment la vente dans les grands supermarchés.
L'avenir ne s'annonce pas rose pour la catégorie. Sous la pression des pouvoirs publics qui tentent de réduire la consommation en raison de son impact majeur sur la santé publique et la sécurité sociale, les ventes sont en recul constant. Pour 2023, les chiffres de NielsenIQ (MAT P03 2024) indiquent une baisse de 5,9 % en volume (cigarettes, cigares et cigarillos, tabac à rouler), une importante augmentation des prix (10,9 %), essentiellement des accises. Au bout du compte, la progression en valeur se monte à 4,4 %. Si l'on se penche sur les cigarettes classiques, le segment le plus important, les prix ont augmenté de 8,5 % et le volume a baissé de 4,2 %. En valeur, le segment a donc gagné 4 %. La plus forte augmentation de prix est celle du tabac à rouler (+ 16,9 %), qui perd 9,6 % en volume et dont au final la valeur affiche + 5,7 %. “Cette augmentation résulte de l'augmentation des accises mais aussi de la baisse des achats frontaliers”, explique Nele Leclercq, strategy & communication manager chez Conway, spécialiste de la consommation nomade. Pour Karlien Spaepen, trade engagement executive Belux chez Philip Morris, le recul des ventes de ces derniers mois est tout à fait conforme à l'évolution de ces dernières années. “Mais le mouvement s'est accéléré depuis les augmentations de taxes et de prix à l'été 2023. Il est très probable que, dans la perspective de l'importante augmentation des taxes en 2024, la tendance à la baisse se poursuive, voire s'accélère.”
Nouvelles mesures
Ces chiffres ne surprennent personne dans le secteur, d'autant moins que le gouvernement souhaite passer à la vitesse supérieure dans la lutte contre le tabagisme. La Belgique souhaite que la première génération sans tabac voie le jour en 2040. D'ici là, l'objectif est de réduire considérablement la consommation : aucun jeune ne devrait plus saisir sa première cigarette, son premier produit ou substitut du tabac. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement fédéral a décidé de mesures radicales qui prendront cours à partir de 2025. Voici les principales mesures qui concernent les retailers :
- L'interdiction de la vente de produits du tabac dans les grands supermarchés (plus de 400 m²) entrera en vigueur à partir du 1er avril 2025. Même les points de vente temporaires, tels que les festivals et les marchés, ne seront plus autorisés à vendre des cigarettes, et ce dès le 1er janvier 2025. En revanche, les établissements horeca pourront continuer à vendre du tabac.
- Interdiction d'exposer les produits de tabac et des présentoirs. À partir du 1er avril 2025, les cigarettes, les produits de vapotage et les produits similaires ne pourront plus être exposés de manière visible dans les magasins. Ils devront être conservés dans un endroit séparé, à l'abri des regards.
- Les prix des cigarettes, du tabac à rouler et des e-cigarettes augmenteront fortement le 1er janvier. Les accises nominales totales augmenteront de 52 euros par 1.000 cigarettes et de 42,6 euros par kilo de tabac à rouler. Pour un paquet de cigarettes, cela signifie une augmentation d'environ 2 euros (+/- 25 %, en fonction des prix pratiqués par le fabricant). Pour les e-cigarettes, un droit d'accise de 0,15 euro par ml sera introduit.
- Le respect des nouvelles règles fera l'objet de contrôles stricts. L'inspection disposera de pouvoirs supplémentaires pour protéger la santé publique. La sanction pourra aller jusqu'à la fermeture d'un point de vente.
- Interdiction de la vente d'e-cigarettes jetables (vapes), à partir du 1er janvier. La Belgique est le premier pays de l'UE à introduire une telle interdiction.
- À partir du 1er janvier, il sera interdit de fumer dans les parcs d'attractions, les zoos, les aires de jeux, les fermes pour enfants, les bibliothèques publiques, les établissements de soins, les structures d'accueil et les établissements d'enseignement.
- Dès cette année, les cigares et les cigarillos, qui étaient jusqu'à présent exclus de la législation, feront l'objet d'un avertissement sanitaire combiné. L'emballage standardisé sera obligatoire pour tous les produits du tabac et les produits à base d'herbes à fumer. La vente de tabac en ligne était déjà interdite, mais cette interdiction sera désormais étendue aux dispositifs utilisés pour fumer des produits à base de tabac ou à base d'herbes (pipes à eau, etc.).
Nous estimons que quelque 600 millions d'euros passeront des grands supermarchés aux magasins de proximité.
Pierre-Yves Dequinze
Directeur du département tabac, télécoms et non-food chez Trendy Foods
Pour le secteur du tabac et les retailers, ces mesures ont un impact très important. Non seulement pour les grands supermarchés, mais aussi pour les autres retailers. “L'impact direct de l'interdiction d'exposition sera plutôt faible”, estime Nele Leclercq. “À court terme, les fumeurs n'arrêteront pas de fumer parce que les produits ne seront plus visibles dans les points de vente. Cette nouvelle mesure représente toutefois un défi particulier pour les retailers qui devront réagencer leurs points de vente. Il y a déjà un moment que nous proposons des distributeurs totalement fermés. Nous élargissons notre offre avec des modèles compacts plus petits, adaptés aux petits points de vente. Une deuxième mesure est l'interdiction de la vente de produits du tabac dans les grandes surfaces de plus de 400 m². J'y vois une opportunité pour les magasins de journaux et de tabac. Les fumeurs chercheront à se fournir ailleurs. Une grande partie du volume pourrait donc se déplacer vers ce canal.” Pierre-Yves Dequinze, directeur du département tabac, télécommunications et non food chez Trendy Foods, rappelle que les grandes surfaces comptent pour 21 % des ventes de tabac. “Cela représente quelque 800 millions d'euros et nous estimons qu'environ 600 millions iront vers les magasins de proximité.” Nele Leclercq voit elle aussi une opportunité pour le petit commerce. “Mais attention, ce sera aussi un défi, tant sur le plan pratique, en raison de l'interdiction d'exposition, que sur le plan financier. Selon nous, l'interdiction d'exposition et la réduction du nombre de points de vente auront un impact sur l'assortiment. Nous estimons que les produits de niche et les petites marques auront du mal à s'imposer. Du fait de leur non exposition, la notoriété de certaines marques va chuter. Et du fait du peu d'espace disponible, le retailer sera obligé de faire des choix pour composer son assortiment. Par ailleurs, l'augmentation systématique des accises voulue par le gouvernement pourrait, à court terme, réduire encore davantage le volume des ventes sur le territoire. Les consommateurs auront tôt fait de constater que les prix sont plus avantageux au Luxembourg et en Allemagne.”
Karlien Spaepen abonde dans le même sens. “Nous constatons que les consommateurs arrivent à contourner les augmentations en se rendant au Luxembourg ou en achetant des produits illégaux. En outre, ces dernières années, le marché belge a bénéficié de la nombreuse clientèle française qui traversait la frontière en raison du grand écart de prix entre les deux pays. Cet écart est en train de se réduire, de sorte que nous risquons de voir moins de consommateurs français.”
La progression des e-cigarettes
L'impact de la nouvelle réglementation se fera également sentir sur un segment du marché qui se développait à contre-courant de la tendance générale. “Les e-cigarettes sont une nouvelle catégorie importante”, confirme Nele Leclercq. “La clientèle de Conway achète surtout Hexa, de loin la marque la plus importante, suivie par Vuse et Blu bar. Et nous avons encore enrichi notre gamme de plusieurs marques supplémentaires. Il n'existe pas de chiffres officiels sur le marché des e-cigarettes. Nous basant sur notre connaissance du marché et les données fournies par les fabricants les plus importants, nous estimons que les e-cigarettes génèrent actuellement un chiffre d'affaires de 150 à 175 millions d'euros. Les versions jetables sont particulièrement populaires, mais seront interdites à partir du 1er janvier 2025. Nous nous attendons à ce que la plupart des consommateurs qui achètent actuellement des produits jetables passent à des dispositifs réutilisables et à des dosettes. Les fabricants s'y préparent en veillant à ce que tous les arômes et produits actuellement disponibles en version jetable le soient également en version à dosettes. Ceci étant, les e-cigarettes ne représentent qu'une petite partie de la catégorie. Les produits à base de CBD (le cannabidiol est un composé sans effet psychoactif, ndlr) constituent un deuxième segment en croissance, mais plus petit encore que celui des e-cigarettes. Toutefois, ces deux segments offrent aux grossistes et aux retailers une marge nettement plus élevée que celle des produits traditionnels, ce qui les rend plus intéressants.”
Pierre-Yves Dequinze se projette déjà dans l'avenir. “Les dosettes rechargeables se profilent comme un substitut aux e-cigarettes, qui seront interdites au 1er janvier 2025. Mais le marché belge est et reste complexe en raison de la législation, ce qui rend difficile le lancement d'innovations. En ce qui concerne l'évolution de la législation belge, nous regardons surtout ce qui se passe aux Pays-Bas, car les autorités belges ont tendance à adopter les mêmes mesures. Mais il est difficile d'avoir une vision à long terme lorsque de nouvelles règles apparaissent tous les six mois.” Nele Leclercq conclut . “Ces dernières années, le gouvernement a déjà introduit à plusieurs reprises de nouvelles mesures. Jusqu'à présent, nous n'avons pas constaté de baisse très importante des ventes. Mais il est clair que l'accumulation de nouvelles mesures aura des effets à plus long terme.”