Enquête
13/3/25

SÉRIE Gert Schrooten (Carrefour) : “Il est difficile de trouver des collaborateurs expérimentés, ambitieux & motivés”

#2Comment les exploitants de supermarchés perçoivent-ils 2025 ? Qu'est-ce qui les rend heureux dans leur travail ? À quelles difficultés sont-ils confrontés ? Quelles sont leurs ambitions ? ... Dans cette série, nous essayons de répondre à toutes ces questions. C'est au tour de Gert Schrooten, exploitant de deux magasins Carrefour Market.

Entrepreneur indépendant, Gert Schrooten exploite deux magasins Carrefour Market à Bocholt et à Hamont, ce dernier ayant été relooké fin de 2024. Mais cette année a néanmoins apporté son lot de défis, tout comme 2025 promet de le faire. “Le nouveau plan tabac va fortement impacter notre chiffre d’affaires.”

L’entreprenariat, c’est de famille chez les Schrooten. Les grands-parents et les parents de Gert possédaient autrefois leur propre magasin de meubles. Lui-même a choisi un autre secteur. Ainsi, il a commencé à travailler comme jobiste dans un supermarché d’Opglabbeek, où il a découvert la passion du retail. En 2011, il a finalement ouvert son propre Carrefour Market à Bocholt et, dix ans plus tard, un deuxième à Hamont. Le magasin de Bocholt a déjà été relooké en 2022, et celui de Hamont a suivi fin 2024. “Nous avons transformé notre magasin de Hamont selon le dernier concept Carrefour”, s’enthousiasme Gert. “Et cela a eu un impact positif sur les clients, qui achètent plus. On n’observe plus comme avant une croissance à deux chiffres du chiffre d’affaires, mais l’appréciation des clients se ressent un peu quand même et ça fait vraiment plaisir à voir.” Un autre point positif que Gert retient de l’année écoulée sont ses nouveaux collaborateurs. “En 2024, j’ai pu ajouter quelques collaborateurs motivés à nos 2 équipes. J’en suis vraiment ravi, parce qu’ils ne sont pas si faciles à trouver à l’heure actuelle”, poursuit-il.

De manière générale, trouver du bon personnel motivé n’est pas simple, selon lui. “Cela fait déjà un moment qu’on se trouve dans un contexte difficile en matière d’embauche des bons profils. On est d’une part souvent confrontés à des secteurs compétitifs qui ont plus à offrir et qui nous volent donc nos travailleurs potentiels. Je pense par exemple aux agences de nettoyage ou aux entreprises avec titres-services qui ne demandent par exemple pas de travailler le week-end”, constate l’exploitant. “D’autre part, je remarque aussi que de plus en plus de gens décrochent un diplôme de l’enseignement supérieur. Or, les tâches opérationnelles et exécutives en magasin sont souvent effectuées par des diplômés de l’enseignement secondaire, tout au plus. Comme de plus en plus de gens poursuivent leurs études, ils ne sont pas, ou très peu, disponibles pour un travail exécutif au supermarché, ce qui nous fait perdre de potentiels candidats collaborateurs.” Gert remarque par contre une énorme augmentation du nombre de flexi-jobbers. “Ça nous aide, surtout le week-end”, poursuit-il. “Mais on a aussi besoin de personnes expérimentées, de préférence avec de l’ambition, qui ont l’envie et la motivation d’évoluer dans leur travail.”

Son regard sur 2024 ? “Ça a encore été une année complexe à cause d’un cocktail de facteurs. Il y a tout d’abord eu l’inflation, évidemment. L’inflation générale a continué à grimper, tandis qu’elle a été négative pour l’alimentation. La croissance doit donc vraiment venir du volume, ce qui n’est naturellement pas facile à générer à cause de la concurrence grandissante. Il y a eu en outre l’augmentation des frais généraux, ceux du personnel en tête”, explique-t-il. “Et enfin, il y a eu la pression toujours perceptible sur le marché. Le problème, c’est que la pression sur le secteur augmente, ce qui augmente aussi la pression sur le travailleur difficile à dénicher et sur les meilleurs de nos travailleurs qui – si on n’y prend garde – finissent par craquer. C’est parfois un exercice d’équilibre périlleux.”

C’est pourtant un équilibre qu’il ne faut pas perdre de vue, insiste Gert. “Malgré le climat difficile dans lequel nous nous trouvons, il faut essayer de faire en sorte que nos collaborateurs trouvent un équilibre dans leur travail. Du fait de la franchisation de nombreux magasins, les heures d’ouverture des supermarchés sont aujourd’hui plus étendues – ce qui est évidemment sympa pour le client – mais il ne faut pas que le collaborateur devienne le dindon de la farce. Il est important de discuter avec les collaborateurs pour qu’ils puissent trouver et assurer leur équilibre et éviter ainsi un burn out”, affirme Gert. “Comprenez-moi bien : équilibre ne veut pas dire confort. Cela ne doit pas toujours être confortable, mais équilibré. Le secteur doit prendre cet élément en considération, parce que c’est très joli en théorie mais il faut aussi pouvoir le traduire dans la pratique.”

Un collaborateur qui trouve l’équilibre dans son travail y sera plus satisfait et y restera plus longtemps. “Ça me réjouit sincèrement quand je peux m’attacher à des collaborateurs sur du long terme, quand je vois qu’ils évoluent, qu’ils sont contents et qu’ils se sentent bien dans leur travail”, poursuit Schrooten. “Quelqu’un qui reste plus longtemps est aussi plus impliqué, mieux au courant de tout et montre plus d’engagement, ce qui est donc bon à prendre.” Même s’il y a bien sûr beaucoup de rotation dans le secteur du retail. “Il ne faut pas être naïf sur ce point, mais il ne faut peut-être pas toujours en chercher la cause chez nous. Je pense que dans bien des cas, c’est aussi lié à la manière dont les gens envisagent la vie : ils accordent un peu moins d’importance à la stabilité, et plus à l’équilibre entre travail et vie privée”, remarque-t-il.

Ce que Gert espère de 2025 ? Plus de stabilité, pas seulement au niveau de l’inflation et des coûts, mais aussi au niveau de la concurrence. “Il y a trop de supermarchés dans notre pays”, témoigne-t-il. “Au niveau de la planification, ça ressemble souvent à une prolifération. Nos voisins sont mieux organisés, nous pourrions prendre exemple sur eux. Les autorités communales doivent gérer ça intelligemment. Si demain on crée 20 jobs supplémentaires quelque part, il faut aussi être conscient que 20 autres jobs se perdent ailleurs. À certains endroits, il faut oser dire que ça suffit.” Le nouveau plan tabac sera un autre défi pour 2025. “Ne plus pouvoir vendre de tabac, comme ça tout à coup, impacte fortement notre chiffre d’affaires. Il faut oser le dire honnêtement. Il s’agit d’un produit qui occupe très peu de superficie tout en générant un chiffre d’affaires important par mètre carré, quoiqu’avec une faible marge. Notre chiffre d’affaires va donc de toute façon reculer.” L’exploitant ne sait pas encore comment combler ce vide. “Tout le monde cherche frénétiquement une alternative valable pour compenser la perte de chiffre d’affaires, mais moi je n’en ai pas encore trouvé”, poursuit-il. “Je pense qu’on doit voir si on ne peut pas vendre d’autres catégories, comme aux Pays-Bas. Là-bas, on ne peut pas vendre de tabac dans les supermarchés, mais ils proposent par exemple à la place un large assortiment pharmaceutique.” La perte du chiffre d’affaires du tabac est une chose, mais, selon Gert, la question est de savoir quelles étaient les ventes supplémentaires générées par les acheteurs de tabac quand ils venaient chercher leurs cigarettes, et qui risquent donc aussi d’être perdues. “Il faut trouver une solution parce qu’il n’est pas évident pour tous les supermarchés de perdre tout ce chiffre d’affaires”, dit-il. “Je crains par ailleurs que la vente de tabac ne glisse vers d’autres secteurs moins régulés. Je trouve donc que ce nouveau plan tabac est une décision pour le moins étrange et pas très maligne ; elle va encore faire couler beaucoup d’encre en 2025”, conclut Gert.

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