Analyse
14/9/24

Xavier Piesvaux (Delhaize) : "Les résultats du Plan d'avenir prouvent que nous avons pris la bonne décision"

Cette fois, c’est sûr : c’est bien la rentrée du retail. Les premières foires aux vins apparaissent, les premiers salons de fin d’année aussi. Et puis tout un chacun se remet à communiquer. L’invitation lancée à la presse par Xavier Piesvaux, le CEO de Delhaize, avait toutefois quelque chose d’exceptionnel. La dernière rencontre avait eu lieu le 7 mars 2023, lors de l’annonce du “Plan d’avenir” débouchant sur le passage des magasins intégrés au modèle des indépendants affiliés. Le patron de Delhaize dresse aujourd’hui un bilan positif de cette conversion et juge son enseigne bien armée pour affronter les défis du marché. Nous vous livrons ici les extraits d’une longue conversation à bâtons rompus.

Un an et demi après l’annonce du ‘Plan d’avenir’, mais aussi 12 mois après la conversion du premier magasin, le temps est effectivement venu de poser un premier bilan, et d’autant plus que 118 des 128 magasins concernés ont déjà été transférés à des affiliés. Pour Xavier Piesvaux, le bilan est clairement positif.

Les promesses ont été tenues, le climat est apaisé

“La première grande conclusion à tirer, c’est que nous avions bel et bien pris une bonne décision. Il y a au moins deux motifs de satisfaction. D'abord l'exécution du plan, qui s’est passée comme prévu ; on avait dit ce qu'on allait faire, et on a tenu toutes nos promesses.  Tous les engagements pris par Delhaize ont été respectés. Et l'autre élément de satisfaction,  qui vient confirmer la pertinence du Plan, c'est qu'on voit des performances plus qu'encourageantes de la part des magasins convertis, et qui se situent même au-delà des attentes, dès la première année d'opération. Les affiliés - et parfois de nouveaux affiliés - qui ont repris ces magasins y ont trouvé du personnel qualifié, ils ont été positivement surpris et ravis de la qualité du personnel dans leurs équipes. Et d’autre part, ces mêmes équipes en magasin sont satisfaites et surtout rassurées. L'annonce du Plan avait créé la surprise, mais aussi de la confusion et de la déception, en tout cas au début. Mais ces craintes se dissipent quand les équipes peuvent rencontrer pour la première fois le nouveau repreneur. Un climat de confiance s'installe, puisqu'on peut désormais mettre un visage sur le Plan d'avenir. Et puis on confirme à nouveau toutes les garanties offertes, notamment sur les conditions de salaire et de travail. Enfin et surtout, le nouveau repreneur explique le projet du magasin qui permet au personnel de voir quel  rôle fondamental et central il y tient.”

La performance est de retour, la part de marché se rétablit

“Les fournisseurs sont plutôt enthousiastes. Je pense qu’il y a pour eux de nouvelles opportunités. Comment puis-je développer plus d'initiatives commerciales à l’échelle du magasin lui-même? Comment puis-je lister de nouveaux produits, éventuellement des produits locaux ? Autre gros motif de satisfaction : la marque Delhaize, qui reste très protégée malgré les dégâts qu’elle aurait pu subir.  On le mesure avec les données de notre carte de fidélité :  tous les clients qui nous ont momentanément quittés pour la concurrence sont de retour, je dis bien tous, et on observe même aujourd'hui le recrutement de nouveaux clients."

"Mais le succès du plan se mesure aussi à travers la performance commerciale des magasins convertis. On s’aperçoit qu’ils progressent dès le premier mois où il sont convertis en magasins affiliés. Nous observons des taux de croissance des ventes à deux chiffres, pour les magasins convertis où nous disposons d’un historique d’un an. Cette trajectoire très positive correspond pour nous au rattrapage du potentiel des magasins intégrés que nous n’avons pas pu atteindre dans le passé.  Parmi les magasins convertis, on en trouve beaucoup dont la performance actuelle les place déjà sur l'année 2, l'année 3 ou parfois même l'année 4 du business plan qui avait été établi préalablement à la reprise.”

“Tout ceci donne beaucoup de confiance pour l'avenir. À la bonne performance des magasins convertis se superpose celle des magasins affiliés existants : 80% du parc concerne des magasins qui étaient déjà exploités par des affiliés avant le Plan d’avenir, et eux aussi se portent bien. C’est vrai pour nos trois format : les supermarchés Delhaize, les Proxy et les Shop & Go. Nous recrutons des clients dans l’ensemble du réseau. Notre e-commerce va bien lui aussi, et tout ceci nous permet de rétablir notre part de marché. Normalement on ne donne pas le chiffre, qui reste un peu confidentiel, mais je vais malgré tout être très concret : aujourd'hui, au mois d'août, nous avons atteint 23 %. Non seulement est-ce mieux qu'avant l'annonce du Plan d'avenir, mais c'est notre meilleure performance sur les cinq dernières années. Tous ces résultats confirment à nouveau que l'option prise était la bonne pour notre réseau.”

Pourquoi les indépendants scorent-ils mieux ?

"En général ce sont des enfants du pays. Ils connaissent mieux que quiconque, le village, la ville, le quartier et ils se connectent beaucoup plus facilement et efficacement avec les communautés locales. Ils rajoutent des produits qui manquaient dans notre assortiment et qui servent les besoins des clients. Ils ajoutent aussi du service, bien sûr. Les ouvertures du dimanche en représentent l’exemple évident, mais le service va au-dela de ce symbole."

"Au coeur du plan, il y a bien sûr notre modèle de collaboration d'affiliation. Vous savez qu'on parle chez nous d'affiliation et pas de franchise. Pourquoi ? Parce que notre modèle de collaboration laisse beaucoup de liberté.  Notre contrat est probablement  le plus libéral sur le sur le marché parce qu'on croit effectivement à l'entrepreneuriat de nous affiliés. Ce modèle assure un niveau de rentabilité des affiliés parmi les meilleurs sur le marché."

Le nouveau contrat d’affiliation proposé aux nouveaux affiliés a suscité quelques remous parmi les affiliés existants. Cette inquiétude est-elle dissipée ?

"L'effort considérable qu'a demandé le plan d'avenir a fait qu'on a été peut-être moins présent dans les magasins existants, et ça, nos partenaires affiliés l'ont compris. On en avait parlé ouvertement avec eux. Ils attendent que ce travail de support qu’ils ont moins eu, ils le retrouvent en 2025, et on peut d'ores et déjà dire qu'ils vont le retrouver. On va amener de ce point de vue beaucoup plus de service que nous n’en fournissions auparavant à nos affiliés. Dans ce trajet, il y a effectivement eu une discussion sur le contrat, mais celui-ci représente plutôt une clarification du contrat existant préalablement. Comment s'assurer qu'on garde à la fois la liberté d'opérer qui est le cœur du contrat actuel et qui a fait le succès nous affiliés et sur laquelle nous avons bâti notre plan d'avenir, tout en s'assurant que la cohérence de la marque Delhaize se retrouve partout dans le pays ? Chaque fois que vous clarifiez les choses, vous ouvrez une discussion et c'est normal. Les 128 magasins qui ont fait la conversion sont déjà passés au nouveau contrat. On met à disposition ce même contrat pour les magasins existants, on les rencontre, on discute avec eux, on clarifie. Lorsqu'il est appliqué, ce contrat permet de générer la même, voire une meilleure rentabilité de nos affiliés. Nous connaissons les défis du marché, les investissements que nos partenaires devront  faire dans durabilité ou dans les prix. Et on veut s'assurer qu'avec le nouveau modèle de rémunération, ils puissent générer plus de marge, de sorte à pouvoir investir de manière plus sereine."

Un des moteurs de croissance, ce sont les ouvertures du dimanche que ne connaissaient pas les 128 magasins intégrés...

"Ces ouvertures correspondent à un besoin des clients, et c'est d'autant plus le cas pour un Delhaize, puisque nous offrons beaucoup de produits frais. Le dimanche est un jour de convivialité : on reçoit ou on se retrouve entre soi. Le dimanche correspond à notre positionnement. Les ouvertures du dimanche ne représentent pas une dilution de chiffre d'affaires, c'est une manière de faire plus, de créer de la valeur et de recruter des clients pour nos affiliés. Ceci contribue probablement à la progression de notre part de marché.

80% des magasins convertis sont déjà ouvert le dimanche. Nous pensons qu'on arrivera à 90% lorsque tous auront été convertis. Il restera malgré tout quelques magasins qui n'ont pas la possibilité d'ouvrir le dimanche parce qu'ils n'en ont pas la possibilité. Si votre magasin est abrité dans un centre commercial fermé le dimanche, vous n'avez pas le choix. Mais nos affiliés ont clairement la volonté d'ouvrir le dimanche."

La performance compétitive de Delhaize sur les prix est réelle, mais pas encore suffisamment perçue par le client. Nous allons y travailler.

Et le prix, dans tout ça ?

"Regardez bien ce que Delhaize a fait sur les prix ces dernières années et vous allez voir que bien des choses mises en place portent aujourd'hui leurs fruits et contribuent aussi à la progression de la part de marché. Notre niveau de prix est extrêmement compétitif par rapport au marché et il se situe au niveau le plus bas qu'il a jamais atteint. Mais pour pouvoir le comparer à la concurrence de façon valide, il faut prendre en compte la combinaison des avantages. Le plus spectaculaire est probablement celui des 1.300 produits 'Petits lions', mais il faut y ajouter d'autres effets, comme le nutriboost, qui accorde une réduction de 10% sur tous les produits au Nutri-Score A et B dans le frais. Ça concerne tout l'univers fruits et légumes, la moitié de la boucherie, la moitié de la poissonnerie, la moitié de la boulangerie. Offrir 10 % de discount sur tout cet assortiment, c'est considérable, et ça nous situe aux niveaux de prix les plus bas sur les produits frais. Ajoutons-y nos promotions, percutantes, et dont les mécaniques sont parfois copiées par le marché. N'oublions pas notre carte de fidélité, qui propose des offres personnalisées. Cet avantage, on ne le voit pas dans les relevés comparatifs de prix, mais les clients reçoivent bel et bien des promotions intéressantes quotidiennes dans leur application, et ils tirent avantage de notre programme de fidélité qui les récompense avec des chèques de 5 euros. Je note aussi que nous appliquons un prix national, quand d'autres concurrents ont un prix local. De quel magasin parle-t-on alors dans un comparatif, quand leur propre réseau montre des écarts de prix très différents pour un même produit, d'une partie du pays à l'autre ? Et comment peut-on comparer les prix de produits à marque propre, si les standards de qualité diffèrent ? Les tests de qualité indépendants menés par les media nous placent en position de leader."

"Pour autant, il reste des défis. Cette réalité des prix dont je vous parle n'est pas encore suffisamment perçue par le client, il nous reste beaucoup de travail pour y parvenir. On va beaucoup travailler pour que la perception prix de Delhaize se rapproche de la réalité des prix. "

La période de forte inflation que nous avons traversée a favorisé les marques propres. Quelle évolution chez Delhaize, qui en a depuis longtemps fait un axe fort de son assortiment ?

"Il y a effectivement eu un changement de comportement des clients, qui ont fait le choix d'aller vers des produits moins coûteux tout en étant qualitatifs. Notre marque propre a par exemple progressé 50% plus vite que les marques nationales. Et à l'intérieur de cet assortiment sous marque Delhaize, c'est aussi vrai  pour les produits signalés par les 'Petits lions', qui progressent eux-mêmes 50% plus vite que notre marque propre. Ça ne m'empêche pas d'avoir un grand respect pour les marques nationales et de souhaiter collaborer avec elles. Ça fait simplement partie du choix qu'on doit offrir à nos clients. Et ce mouvement qui se fait vers la marque propre, c'est plutôt une bonne nouvelle pour nous parce qu'il fidélise : un client qui achète pour la première fois un produit Delhaize continue à acheter. Pas par hasard : il faut assurer la qualité, mais aussi développer l'innovation. Un exemple ? On vient de lancer cette semaine notre pâte chocolatée à tartiner en version vegan, exactement au moment où la marque nationale leader lance sa propre version. La nôtre est toujours sans huile de palme. On travaille aussi avec des marques exclusives, des producteurs locaux, des marques locales belges."

En deux ans, le visage du marché a changé, avec des enseignes qui ont disparu, et une concurrence plus féroce que jamais, et des challengers aux dents longues.

"Je me souviens qu'à mon arrivée en Belgique, il y a 7 ans, on se plaignait des prix belges plus chers qu'aux Pays-Bas. Il semblerait aujourd'hui que ce soit parfois plutôt l'inverse, ou en tout cas que les prix sont au même niveau. Il y a effectivement eu une consolidation. La compétition reste toujours aussi féroce. Vous savez comme moi qu'il y a des nouveaux entrants sur le marché belge, alors qu'il est un des plus saturés d'Europe en mètres carrés. On en est proportionnellement à 30% de surface commerciale en plus par rapport aux Pays-Bas, par exemple. Ça vous oblige à prendre des décisions très réfléchies. Nous considérons sincèrement que celle prise avec le Plan d'avenir nous livre les armes nécessaires."

En bref, sur d'autres sujets :

L'e-commerce

"Ça se passe bien, nous couvrons la quasi-totalité du territoire et sommes leaders. Il est difficile de faire du profit dans l'e-commerce alimentaire. La formule collect est disponible dans les 128 magasins convertis. Nous sommes en train de chercher la formule la plus adaptée pour nos magasins affiliés préexistants. Quant à la livraison à domicile, elle est davantage une opportunité qu'une concurrence pour les magasins : elle permet de recruter de nouveaux clients, pour lesquels il s'agit du premier point de contact avec la marque. S'ils sont satisfaits du service fourni, ils fréquenteront aussi nos magasins affiliés. Avoir une proposition e-commerce sera un aspect fondamental de l'expérience client dans le futur, on se doit donc de continuer dans cette voie"

La grogne de Colruyt sur l'avantage concurrentiel dont disposeraient les chaînes franchisées

"On ne partage pas l'avis de Colruyt. Les commissions paritaires ont leurs raisons d'exister, chacune correspond à un modèle de fonctionnement. Elles amènent de la flexibilité dans un certain modèle de fonctionnement. Forment-elles une distorsion de concurrence ? Non. Au cours des dix dernières années, certains réseaux intégrés ont progressé, certains réseaux affiliés ou franchisés aussi. Pour moi, c'est plutôt d'ailleurs un atout de la Belgique que d'avoir ces commissions paritaires différentes, ça permet de créer un cadre adapté à tous, aux grands groupes comme aux petits acteurs."

A quoi s'attendre en termes d'activité marketing ?

"Nous travaillons aujourd'hui sur un plan qui va nous permettre de mettre le produit au centre donc notre relation avec le client et de créer de la différence. Vous pouvez effectivement vous attendre à ce que la communication produit et les innovations produits soient beaucoup plus importantes dans les semaines et les mois à venir. Il y a toute l'animation commerciale promotionnelle où je pense que nous avons de nouveaux concepts de mécaniques intéressantes pour les clients. Il y aura encore beaucoup d'initiatives dans le domaine de la santé toujours au cœur de notre stratégie."

Quid des intentions de votre partenaire Q8 d'ouvrir des stations de recharge électrique ? Et aux grandes manœuvres sur ce marché des stations-service ?

Inévitablement, l'offre dans les magasins va changer dans le futur, avec l'électrification des voitures. Le magasin qui est souvent lié à la station-service opèrera de manière différente, ce que nous voyons plutôt comme une opportunité. L'avenir verra probablement le client rester sur place un peu plus longtemps qu'aujourd'hui. Le magasin sera aussi un espace de repos, un espace de travail, un espace de restauration... On s'attend donc effectivement à une évolution du concept Shop&Go.

Sur les concepts, l'absence de tout magasin intégré ne vous prive pas de laboratoires pour rôder les évolutions ?

Les affiliés sont demandeurs, ils innovent autant si pas plus que nous. On peut trouver une manière d'innover avec nos affiliés, et donc oui on va les mettre à bord de ces projets. La beauté de l'affiliation, c'est que vous avez en face de vous des entrepreneurs, dont certains sont toujours prêts à tester des idées.

Sur la fraude aux bornes de self-scanning, que votre concurrent Jumbo chiffre à 100 millions sur son réseau total. Les 128 nouveaux affiliés ont hérité d'un tel service.

Il y a un chantier à conduire avec nos affiliés pour trouver le meilleur compromis. Les clients apprécient le service, et quand on voit la contribution au chiffre d'affaires de ce type de checkout, il est difficile de faire marche arrière. A nous de travailler pour gérer le service de manière un petit peu plus contrôlée, sans verser dans des excès.

Source : Gondola

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